Quand on n'a que l'amour!

 

 

La personne dont il va être question est la personnification même du titre d'une des plus fameuses chansons de Jacques Brel:

 

Quand on n'a que l'amour!

 

En effet, en essayant de faire revivre la personnalité de l'Abbé Joseph André, on s'aperçoit bien vite que le seul bien qu'il possédait, c'est l'amour!

Mais nous allons voir qu'avec ce seul amour, il va déplacer à lui seul des montagnes.

Joseph André naît à Jambes, dans, et je cite ici André Dulière, historien namurois bien connu, dans le décor poétique du boulevard de la Meuse. Il naît dans ce faubourg de la petite ville de Namur le 14 mars 1908, il y a donc presque cent ans!

 

Premières épreuves.

 

Très vite, il va être soumis à une série de dures épreuves puisqu'il perd tout d'abord sa mère et sera élevé par ses deux tantes.

De plus, il devra affronter toute sa vie durant une santé extrêmement fragile.

Autre épreuve, à l'âge de six ans, en septembre 1914,  il commencera ses études primaires au moment où les armées allemandes occupent Namur pour 4 longues années.

Mais l'accumulation de ces événements sera déterminante pour faire de cet homme un être compréhensif, toujours à l'écoute de son entourage et prêt à venir en aide aux gens en perdition.

 

Abstraction de soi au profit des autres.

 

Dès son plus jeune âge, ses intimes remarquent tout de suite un des attributs essentiels de l'amour qui règne en Joseph André, c'est une abstraction totale de son être; il n'attribue aucune importance à sa propre personne. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup de ceux qui l'ont fréquenté à cette époque, se souvenaient à peine de lui tellement il passait inaperçu!

Mais attention, cette abstraction de soi n'était pas vaine car elle se faisait TOUJOURS au profit des autres.

 

Appliqués aux études mais pas transcendants.

 

Joseph André, jeune homme, est appliqué à ses études et met tous ses efforts pour bien faire mais les résultats ne sont pas transcendants, il est plutôt moyen et reçoit peu de prix.

Bien qu'il soit animé par une foi profonde, il ne semble pas qu'il soit entré dans le moule des enseignants catholiques de l'époque puisqu'il ne reçoit jamais aucun prix au cours de religion.

 

Plus grave encore, alors qu'il met tout en œuvre pour entrer dans les ordres Jésuites, après près de deux années d'études très dures tant intellectuellement que physiquement, il tombe gravement malade et les Jésuites le rejettent le considérant impropre pour être Jésuite. Les Jésuites sans s'en rendre compte venaient de rejeter ce qui aurait pu être l'une de leurs pierres les plus précieuses.

 

Mais ces diverses épreuves ne vont pas du tout entamer l'idéal qui le guidera jusqu'à son dernier souffle:

 

N'avoir que l'amour!

 

Joyeux et accueillant.

 

Un autre trait de caractère remarquable chez Joseph André, c'est son caractère essentiellement joyeux et accueillant qu'il met en avant malgré sa santé défaillante et malgré son rejet de chez les Jésuites qui aurait pu être une cruelle déception.

Cette joie et cet accueil allait servir de support à tous les désespérés qu'il allait rencontrer sur son chemin quelque quinze ans plus tard pendant la deuxième guerre mondiale.

 

La vie à la ferme.

 

Pour qu'il se remette de sa maladie, son père, un fonctionnaire à la ville de Namur, décide de l'envoyer faire un séjour prolongé dans une des nombreuses fermes de la région Namuroise.

Sans le savoir, son père lui fait faire un véritable plan de carrière comme les sociétés de nos jours rêvent d'en faire pour leur personnel. Mais ici, le but n'est pas commercial, il n'est pas d'augmenter ses gains matériels, le but invisible de ce plan, c'est de pouvoir mieux servir les futurs enfants cachés en familiarisant ce citadin avec la vie dans les fermes, le contact avec le monde fermier et ses us et coutumes. Joseph André saura plus tard utiliser tout le potentiel de refuge que ces fermes représentent contre les hordes haineuses du nazisme.

 

Audace et ténacité.

 

Nous voyons donc petit à petit toutes les pièces du puzzle se mettre en place pour nous faire découvrir ce que sera la personnalité de celui qui entre-temps devient l'Abbé André.

Mais une autre pièce majeure du puzzle, c'est son audace inouïe et sa ténacité habilement camouflée derrière une fallacieuse timidité. Cette dualité entre audace et timidité allait très souvent désarçonner ses adversaires ou son entourage.

Par sa ténacité, il a plusieurs fois réussi à faire faire presque un tour de Belgique en pleine nuit à une de ses relations pour venir en aide à une personne en détresse!

 

L'épouse de l'Abbé André.

 

Et maintenant je vais surprendre plusieurs d'entre vous, mais nous arrivons à l'époque où l'Abbé André va faire la connaissance de celle qui deviendra son épouse.

 

L'abbé André va en effet épouser la cause du peuple Juif!

 

C'est durant l'été 42 que l'Abbé André rencontre Arthur Burak, un avocat Juif Allemand et son épouse qui avaient fui l'Allemagne en 33 et qui lui exposent leur crainte face à une dénonciation possible aux nazis occupant la Belgique. L'Abbé André va se dépêcher de trouver un refuge pour les parents Burak dans un établissement religieux tandis que les enfants seront mis à l'abri ailleurs pour brouiller les pistes et augmenter les chances de survie.

Huit jours plus tard, ce sont des cousins de la famille Burak qui viennent frapper à sa porte et vont à leur tour entrer dans la clandestinité offerte par l'Abbé André.

C'est le début de l'idylle entre Joseph André et le peuple Juif. Cette union, comme toutes les belles unions bibliques, se fera dans la plus grande discrétion, sans aucune formalité ni religieuse ni administrative, sans tambour ni trompette; ce sera une union purement naturelle pour le meilleur et pour le pire.

 

Humilité en faisant front au jour le jour aux difficultés croissantes qui se présentent sans jamais renoncer aux obstacles – Créativité – Obstination à garder le cap – Efficacité – Faire fi de sa propre sécurité et de sa propre vie,  voilà une série d'attributs qui vont caractériser le comportement de l'Abbé André pour assurer la survie du peuple Juif qui vient à sa rencontre de plus en plus nombreux.

 

Il rentre assez rapidement en contact avec un des réseaux les plus actifs pour la protection des enfants Juifs, le CDJ, Comité de Défense des Juifs,  animé par le communiste Ghert Jospa et sa femme.

L'Abbé André va collaborer avec l'organisation montée par le CDJ, notamment avec des convoyeuses comme notre illustre Madame Guelen qui lui amenaient au risque de leur vie les enfants dans son home.

 

Une gestion précise et très secrète au sujet des enfants se faisait grâce à 5 carnets codés permettant à tout moment de toujours tout connaître sur eux et sur leurs parents. L'un des carnets mentionnait son identité réelle avec un numéro code; le second son nom d'emprunt et le même code; le 3e mentionne le code et l'adresse des parents; le 4e renseigne le lieu de protection avec son code et le dernier carnet, le carnet clé fait la liaison entre les noms d'emprunt des enfants et le code des lieux de refuge. Seules un nombre très limité de personnes avaient accès aux carnets.

 

L'abbé André va se charger de préparer des caches dans toute sa région où il y a beaucoup de fermes, de châteaux et de homes refuges et où il était relativement facile de passer inaperçu de l'occupant. Namur et sa région devinrent ainsi une zone refuge pour les juifs clandestins.

C'est ainsi que parallèlement aux convois de la mort, mais en sens opposé on voit se former des convois de la vie.

 

Assez symboliquement, il est intéressant de noter que le home d'accueil de l'Abbé André se trouvait sur une des vieilles places de la ville de Namur, dont le nom était prédestiné puisqu'il s'agit de la place de l'Ange!

Et on en avait vraiment besoin d'un ange gardien, puisque sur cette même place, coïncidence qui fait froid dans le dos, ce home était quasiment mitoyen de la kommandantur allemande logée à l'hôtel d'Harscamp; c'est donc à deux pas des autorités militaires allemandes que vont défiler en transit et sous une bonne protection quantités de candidats à la vie.

Ce home d'accueil comportait une immense salle des fêtes où on trouvait en permanence 30 à 35 locataires en attente d'un abri plus sûr. L'abbé André avait prudemment prévu dans cette salle une armoire avec porte dérobée permettant de s'échapper si nécessaire par la maison voisine vers une rue tout à fait à l'opposé de la place de l'Ange.

En plus de fermes et de homes, plusieurs de ces enfants ainsi que des adultes vont aussi prendre le chemin de l'asile d'aliénés de Dave où ils sont recueillis par le Docteur Fernand Arnould et sa femme Nelly, deux personnalités également remarquables et qui figurent parmi les Justes de Belgique.

Le Docteur Arnould travaillait avant guerre dans un Institut à Mortsel, près d'Anvers où il comptait des amis et des patients juifs. C'est ce qui l'a amené dès 1942 à être sollicité pour assurer leur protection pendant les moments dramatiques des rafles de la Gestapo.

Cette famille Namuroise fut très souvent en collaboration avec l'Abbé André très active dans la protection des juifs. Il faut aussi citer la collaboration des autorités communales avec l'abbé André pour procurer des faux papiers, des abris et emplois comme par exemple à l'hôpital Saint Camille à Namur ou plus de 20 juifs se trouvaient camouflés tant parmi le personnel que parmi les malades! Mais un jour, les autorités allemandes ont réclamé une liste complète de tous les employés de l'hôpital. Les Arnould ont fait disparaître toute trace de leurs protégés en catastrophe et les ont cachés dans leurs maisons pendant plusieurs jours, le temps de leur procurer un nouvel abri sûr.

 

C'est ainsi que plusieurs centaines d'enfants et des dizaines d'adultes sont passés par petites groupes au travers de ce home comme au travers d'une porte d'espérance vers des lieux de protection plus en sûreté. Pendant près de deux ans, les autorités allemandes qui siégeaient juste à côté ont cru que tous ces enfants faisaient partie des scouts et n'y ont pas prêté trop attention.

 

Mais en juin 44, à l'époque du débarquement, la Gestapo découvre le pot aux roses et procède à une perquisition dans cette salle de l'Ange comme on l'appelait. Heureusement, l'Abbé André est prévenu alors qu'il officie dans une église des environs et cela lui permet de disparaître dans la clandestinité jusqu'à la libération toute proche. C'est dans cette clandestinité qu'il aura la joie immense d'apprendre qu'aucun des enfants n'a été pris lors de la perquisition en question. Tous les enfants ont bien suivi les instructions et ont disparu via l'armoire qui camouflait la porte dérobée et ils se sont enfuis en lieu sûr.

 

 

 

 

La libération, une nouvelle étape dans l'amour pour le peuple Juif.

 

Ce n'est pas la libération qui va marquer un point d'arrêt dans les activités de Joseph André, notamment vis-à-vis de ses anciens protégés. L'abbé André n'est pas un homme tourné vers le passé, c'est un homme qui agit dans le présent pour préparer le futur.

Maintenant ses enfants peuvent vivre au grand jour avec une liberté de penser et de s'exprimer au grand jour. Une des premières choses que l'Abbé André fait, c'est d'organiser une synagogue dans son home afin que chacun puisse prier selon sa conviction reconnaissant par là que tout homme sincère dans ses pensées représente une grande valeur aux yeux de Son Créateur. C'est un rabin de l'armée Américain qui en prend la responsabilité.

L'abbé André montre d'ailleurs par là qu'il n'est pas un homme sectaire, il ne montre jamais un doigt accusateur, même s'il se trouve en face de ses agresseurs comme nous le verrons plus tard. Il aime, est ouvert et s'intéresse à tous les courants d'idées et ne connaît ni la haine ni la vengeance.

 

Une deuxième chose que l'Abbé André entreprit à la libération, c'est de s'occuper des nombreux orphelins juifs dont les parents avaient malheureusement disparus écrasés sous les bottes nazies.  Il leur trouvait tantôt des familles d'adoption, tantôt une nouvelle patrie, surtout aux Etats-Unis. Mais à partir du moment de la création de l'Etat d'Israël, il les envoya surtout vers Israël.

 

L'amour, toujours l'amour!

 

Après ces événements, l'abbé Joseph André a continué son œuvre, notamment en venant en aide à son peuple, les belges dont une grande partie vivait dans les ruines et la misère après la guerre. Mais maintenant, il pouvait le faire à ciel ouvert et en homme libre de tous ses mouvements.

 

Il n'oublia toutefois pas les étrangers, recueillant en 1956 les réfugiés de l'insurrection de Hongrie. Il les logeait dans son fameux château de l'horloge à Bomel et leur cherchait du travail. Il les aidait aussi dans toutes les formalités administratives car ces gens ne parlaient que le russe, le hongrois et un peu d'allemand. Lui ne parlait que le Français, le Wallon et heureusement le flamand qui servait de pont avec les réfugiés hongrois.

Puis dans les années soixante, sont venus s'ajouter des mulâtres de l'ex Congo Belge rejetés tant par la communauté noire que la communauté blanche, et aussi des nord-Africains.

 

 

 

 

En danger de mort.

 

Ni la maladie ni la guerre 40 n'avaient eu raison de la vie de l'abbé André mais il faillit la perdre en temps de paix quand deux réfugiés yougoslaves indélicats l'ont battu et l'ont pendu à un arbre en le menaçant de mort. Il échappe miraculeusement mais fidèle à ses convictions, il ne les dénonce pas, ne les juge pas et ne les fait pas condamner; au contraire il poursuit son œuvre en allant aussi s'occuper des prisonniers de droit commun et de leur famille souvent fort démunie.

 

Juste parmi les nations.

 

Il fallut user de ruses immenses pour convaincre l'Abbé André de venir en Israël afin de le remercier pour son œuvre. Il avait en effet une aversion viscérale pour tous les honneurs terrestres et n'aimait pas sacrifier le présent pour le passé. Mais il ne résista pas à l'idée de revoir quelque 25 ans plus tard ceux qu'il avait tant aimés. C'est ainsi qu'il vint non sans difficulté en Israël en 1968 et reçut des mains du Président Shazar le titre  de Juste des nations. Ce voyage ne commencera pas sans difficulté, car Joseph André, je ne vous l'ai pas encore dit, est un très grand distrait! Et lorsqu'il arrive à l'aéroport, il s'était trompé d'heure et l'avion avait déjà décollé! Mais heureusement il a pu repartir le lendemain et à temps cette fois.

Il lui arriva à peu près la même aventure un an plus tard, lorsqu'il est invité à retrouver ses anciens protégés qui ont émigré aux Etats-Unis, cette fois, c'est son ticket d'avion qu'il ne retrouve pas au moment d'embarquer! Il était pourtant dans son livre de prière qu'il avait avec lui mais ce n'est que le soir qu'il le retrouve et ici encore il put repartir le lendemain.

 

La fin.

 

Et nous voici arrivés à la fin du périple passionant de cet homme sur la terre. C'est en effet le terme fixé de cette vie intensément remplie de l'abbé André qui fit un jour une mauvaise chute sur un simple trottoir lors d'un de ses déplacements et c'est ce qui allait l'affaiblir de plus en plus. Il s'est éteint le 1er juin 1973 à l'âge de 65 ans.

 

 

Mais est-ce vraiment la fin de son œuvre?

 

Bien sur que non, le rappel des hauts faits de cette race de femmes et

d'hommes dont nous venons de parler est fait pour qu'individuellement nous tirions les leçons du passé afin de faire les bons choix dans notre vie présente.

Il nous montre que le vrai bonhheur appartient à ceux qui font abstraction d'eux-mêmes au profit de leur entourage;

Le bonheur appartient à ceux qui communiquent leur joie de vivre;

Le bonheur s'attache à ceux augmentent leur connaisance pour être utile;

Le bonheur est enfin à ceux qui ont un esprit de création et qui l'utilisent au gré des jours.

Si nous nous attachons à toutes ces valeurs, comme Joseph André l'a fait, nous ne serons jamais dans l'obscurité et nous saurons toujours quel chemin suivre. Nous ne chercherons pas à être mis en lumière mais, comme ces gens, nous serons peut-être nous-mêmes lumière.

Et rappelons-nous que, malheureusement, après le jour vient la nuit, et c'est durant la nuit que les hommes ont cruellement besoin de lumière!

 

 

 

 

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