Quand on n'a que l'amour!
La personne dont il
va être question est la personnification même du titre d'une des
plus fameuses chansons de Jacques Brel:
Quand on n'a que l'amour!
En effet, en
essayant de faire revivre la personnalité de l'Abbé Joseph André,
on s'aperçoit bien vite que le seul bien qu'il possédait, c'est
l'amour!
Mais nous allons
voir qu'avec ce seul amour, il va déplacer à lui seul des
montagnes.
Joseph André
naît à Jambes, dans, et je cite ici André Dulière,
historien namurois bien connu, dans le décor poétique du
boulevard de
Premières
épreuves.
Très vite,
il va être soumis à une série de dures épreuves
puisqu'il perd tout d'abord sa mère et sera élevé par ses
deux tantes.
De plus, il devra affronter
toute sa vie durant une santé extrêmement fragile.
Autre
épreuve, à l'âge de six ans, en septembre 1914, il commencera ses études primaires au
moment où les armées allemandes occupent Namur pour 4 longues
années.
Mais l'accumulation
de ces événements sera déterminante pour faire de cet
homme un être compréhensif, toujours à l'écoute de
son entourage et prêt à venir en aide aux gens en perdition.
Abstraction de soi
au profit des autres.
Dès son plus
jeune âge, ses intimes remarquent tout de suite un des attributs
essentiels de l'amour qui règne en Joseph André, c'est une
abstraction totale de son être; il n'attribue aucune importance à
sa propre personne. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup
de ceux qui l'ont fréquenté à cette époque, se
souvenaient à peine de lui tellement il passait inaperçu!
Mais attention,
cette abstraction de soi n'était pas vaine car elle se faisait TOUJOURS
au profit des autres.
Appliqués aux
études mais pas transcendants.
Joseph
André, jeune homme, est appliqué à ses études et
met tous ses efforts pour bien faire mais les résultats ne sont pas
transcendants, il est plutôt moyen et reçoit peu de prix.
Bien qu'il soit
animé par une foi profonde, il ne semble pas qu'il soit entré
dans le moule des enseignants catholiques de l'époque puisqu'il ne
reçoit jamais aucun prix au cours de religion.
Plus grave encore,
alors qu'il met tout en œuvre pour entrer dans les ordres Jésuites,
après près de deux années d'études très
dures tant intellectuellement que physiquement, il tombe gravement malade et les
Jésuites le rejettent le considérant impropre pour être
Jésuite. Les Jésuites sans s'en rendre compte venaient de rejeter
ce qui aurait pu être l'une de leurs pierres les plus précieuses.
Mais ces diverses
épreuves ne vont pas du tout entamer l'idéal qui le guidera
jusqu'à son dernier souffle:
N'avoir que l'amour!
Joyeux et
accueillant.
Un autre trait de
caractère remarquable chez Joseph André, c'est son
caractère essentiellement joyeux et accueillant qu'il met en avant
malgré sa santé défaillante et malgré son rejet de
chez les Jésuites qui aurait pu être une cruelle déception.
Cette joie et cet
accueil allait servir de support à tous les désespérés
qu'il allait rencontrer sur son chemin quelque quinze ans plus tard pendant la
deuxième guerre mondiale.
La vie à la
ferme.
Pour qu'il se
remette de sa maladie, son père, un fonctionnaire à la ville de
Namur, décide de l'envoyer faire un séjour prolongé dans
une des nombreuses fermes de la région Namuroise.
Sans le savoir, son
père lui fait faire un véritable plan de carrière comme
les sociétés de nos jours rêvent d'en faire pour leur
personnel. Mais ici, le but n'est pas commercial, il n'est pas d'augmenter ses
gains matériels, le but invisible de ce plan, c'est de pouvoir mieux
servir les futurs enfants cachés en familiarisant ce citadin avec la vie
dans les fermes, le contact avec le monde fermier et ses us et coutumes. Joseph
André saura plus tard utiliser tout le potentiel de refuge que ces
fermes représentent contre les hordes haineuses du nazisme.
Audace et ténacité.
Nous voyons donc
petit à petit toutes les pièces du puzzle se mettre en place pour
nous faire découvrir ce que sera la personnalité de celui qui entre-temps
devient l'Abbé André.
Mais une autre
pièce majeure du puzzle, c'est son audace inouïe et sa ténacité
habilement camouflée derrière une fallacieuse timidité.
Cette dualité entre audace et timidité allait très souvent
désarçonner ses adversaires ou son entourage.
Par sa ténacité,
il a plusieurs fois réussi à faire faire presque un tour de
Belgique en pleine nuit à une de ses relations pour venir en aide
à une personne en détresse!
L'épouse de
l'Abbé André.
Et maintenant je
vais surprendre plusieurs d'entre vous, mais nous arrivons à l'époque
où l'Abbé André va faire la connaissance de celle qui
deviendra son épouse.
L'abbé André va en effet épouser la cause du peuple
Juif!
C'est durant
l'été 42 que l'Abbé André rencontre Arthur Burak,
un avocat Juif Allemand et son épouse qui avaient fui l'Allemagne en 33
et qui lui exposent leur crainte face à une dénonciation possible
aux nazis occupant
Huit jours plus
tard, ce sont des cousins de la famille Burak qui viennent frapper à sa
porte et vont à leur tour entrer dans la clandestinité offerte
par l'Abbé André.
C'est le
début de l'idylle entre Joseph André et le peuple Juif. Cette
union, comme toutes les belles unions bibliques, se fera dans la plus grande
discrétion, sans aucune formalité ni religieuse ni administrative,
sans tambour ni trompette; ce sera une union purement naturelle pour le
meilleur et pour le pire.
Humilité en
faisant front au jour le jour aux difficultés croissantes qui se
présentent sans jamais renoncer aux obstacles – Créativité
– Obstination à garder le cap – Efficacité – Faire fi de sa
propre sécurité et de sa propre vie, voilà une série d'attributs qui
vont caractériser le comportement de l'Abbé André pour
assurer la survie du peuple Juif qui vient à sa rencontre de plus en
plus nombreux.
Il rentre assez
rapidement en contact avec un des réseaux les plus actifs pour la protection
des enfants Juifs, le CDJ, Comité de Défense des Juifs, animé par le communiste Ghert Jospa et
sa femme.
L'Abbé
André va collaborer avec l'organisation montée par le CDJ,
notamment avec des convoyeuses comme notre illustre Madame Guelen qui lui
amenaient au risque de leur vie les enfants dans son home.
Une gestion
précise et très secrète au sujet des enfants se faisait grâce
à 5 carnets codés permettant à tout moment de toujours
tout connaître sur eux et sur leurs parents. L'un des carnets mentionnait
son identité réelle avec un numéro code; le second son nom
d'emprunt et le même code; le 3e mentionne le code et l'adresse des
parents; le 4e renseigne le lieu de protection avec son code et le dernier
carnet, le carnet clé fait la liaison entre les noms d'emprunt des
enfants et le code des lieux de refuge. Seules un nombre très
limité de personnes avaient accès aux carnets.
L'abbé
André va se charger de préparer des caches dans toute sa
région où il y a beaucoup de fermes, de châteaux et de
homes refuges et où il était relativement facile de passer
inaperçu de l'occupant. Namur et sa région devinrent ainsi une
zone refuge pour les juifs clandestins.
C'est ainsi que
parallèlement aux convois de la mort, mais en sens opposé on voit
se former des convois de la vie.
Assez symboliquement, il
est intéressant de noter que le home d'accueil de l'Abbé
André se trouvait sur une des vieilles places de la ville de Namur, dont
le nom était prédestiné puisqu'il s'agit de la place de
l'Ange!
Et on en avait vraiment
besoin d'un ange gardien, puisque sur cette même place, coïncidence
qui fait froid dans le dos, ce home était quasiment mitoyen de la kommandantur
allemande logée à l'hôtel d'Harscamp; c'est donc à
deux pas des autorités militaires allemandes que vont défiler en
transit et sous une bonne protection quantités de candidats à la
vie.
Ce home d'accueil comportait
une immense salle des fêtes où on trouvait en permanence 30
à 35 locataires en attente d'un abri plus sûr. L'abbé
André avait prudemment prévu dans cette salle une armoire avec
porte dérobée permettant de s'échapper si
nécessaire par la maison voisine vers une rue tout à fait
à l'opposé de la place de l'Ange.
En plus de fermes et de
homes, plusieurs de ces enfants ainsi que des adultes vont aussi prendre le
chemin de l'asile d'aliénés de Dave où ils sont recueillis
par le Docteur Fernand Arnould et sa femme Nelly, deux personnalités
également remarquables et qui figurent parmi les Justes de Belgique.
Le Docteur Arnould
travaillait avant guerre dans un Institut à Mortsel, près
d'Anvers où il comptait des amis et des patients juifs. C'est ce qui l'a
amené dès 1942 à être sollicité pour assurer
leur protection pendant les moments dramatiques des rafles de
Cette famille Namuroise
fut très souvent en collaboration avec l'Abbé André très
active dans la protection des juifs. Il faut aussi citer la collaboration des
autorités communales avec l'abbé André pour procurer des faux
papiers, des abris et emplois comme par exemple à l'hôpital Saint
Camille à Namur ou plus de 20 juifs se trouvaient camouflés tant
parmi le personnel que parmi les malades! Mais un jour, les autorités
allemandes ont réclamé une liste complète de tous les
employés de l'hôpital. Les Arnould ont fait disparaître
toute trace de leurs protégés en catastrophe et les ont
cachés dans leurs maisons pendant plusieurs jours, le temps de leur
procurer un nouvel abri sûr.
C'est ainsi que plusieurs
centaines d'enfants et des dizaines d'adultes sont passés par petites groupes au travers de ce home comme au travers d'une
porte d'espérance vers des lieux de protection plus en
sûreté. Pendant près de deux ans, les autorités
allemandes qui siégeaient juste à côté ont cru que
tous ces enfants faisaient partie des scouts et n'y ont pas prêté
trop attention.
Mais en juin 44, à
l'époque du débarquement,
La libération, une
nouvelle étape dans l'amour pour le peuple Juif.
Ce n'est pas la
libération qui va marquer un point d'arrêt dans les
activités de Joseph André, notamment vis-à-vis de ses
anciens protégés. L'abbé André n'est pas un homme
tourné vers le passé, c'est un homme qui agit dans le présent
pour préparer le futur.
Maintenant ses enfants
peuvent vivre au grand jour avec une liberté de penser et de s'exprimer
au grand jour. Une des premières choses que l'Abbé André
fait, c'est d'organiser une synagogue dans son home afin que chacun puisse
prier selon sa conviction reconnaissant par là que tout homme
sincère dans ses pensées représente une grande valeur aux
yeux de Son Créateur. C'est un rabin de l'armée Américain
qui en prend la responsabilité.
L'abbé
André montre d'ailleurs par là qu'il n'est pas un homme sectaire,
il ne montre jamais un doigt accusateur, même s'il se trouve en face de
ses agresseurs comme nous le verrons plus tard. Il aime, est ouvert et
s'intéresse à tous les courants d'idées et ne
connaît ni la haine ni la vengeance.
Une deuxième chose
que l'Abbé André entreprit à la libération, c'est
de s'occuper des nombreux orphelins juifs dont les parents avaient
malheureusement disparus écrasés sous les bottes nazies. Il leur trouvait tantôt des familles
d'adoption, tantôt une nouvelle patrie, surtout aux Etats-Unis. Mais
à partir du moment de la création de l'Etat d'Israël, il les
envoya surtout vers Israël.
L'amour, toujours
l'amour!
Après ces
événements, l'abbé Joseph André a continué
son œuvre, notamment en venant en aide à son peuple, les belges dont
une grande partie vivait dans les ruines et la misère après la
guerre. Mais maintenant, il pouvait le faire à ciel ouvert et en homme
libre de tous ses mouvements.
Il n'oublia toutefois pas
les étrangers, recueillant en 1956 les réfugiés de
l'insurrection de Hongrie. Il les logeait dans son fameux château de l'horloge
à Bomel et leur cherchait du travail. Il les aidait aussi dans toutes
les formalités administratives car ces gens ne parlaient que le russe,
le hongrois et un peu d'allemand. Lui ne parlait que le Français, le
Wallon et heureusement le flamand qui servait de pont avec les
réfugiés hongrois.
Puis dans les
années soixante, sont venus s'ajouter des mulâtres de l'ex Congo
Belge rejetés tant par la communauté noire que la
communauté blanche, et aussi des nord-Africains.
En danger de mort.
Ni la maladie ni la
guerre 40 n'avaient eu raison de la vie de l'abbé André mais il
faillit la perdre en temps de paix quand deux réfugiés
yougoslaves indélicats l'ont battu et l'ont pendu à un arbre en
le menaçant de mort. Il échappe miraculeusement mais
fidèle à ses convictions, il ne les dénonce pas, ne les juge
pas et ne les fait pas condamner; au contraire il poursuit son œuvre en
allant aussi s'occuper des prisonniers de droit commun et de leur famille
souvent fort démunie.
Juste parmi les nations.
Il fallut user de ruses immenses
pour convaincre l'Abbé André de venir en Israël afin de le
remercier pour son œuvre. Il avait en effet une aversion viscérale
pour tous les honneurs terrestres et n'aimait pas sacrifier le présent
pour le passé. Mais il ne résista pas à l'idée de
revoir quelque 25 ans plus tard ceux qu'il avait tant aimés. C'est ainsi
qu'il vint non sans difficulté en Israël en 1968 et reçut
des mains du Président Shazar le titre
de Juste des nations. Ce voyage ne commencera pas sans difficulté,
car Joseph André, je ne vous l'ai pas encore dit, est un très
grand distrait! Et lorsqu'il arrive à l'aéroport, il
s'était trompé d'heure et l'avion avait déjà
décollé! Mais heureusement il a pu repartir le lendemain et
à temps cette fois.
Il lui arriva à
peu près la même aventure un an plus tard, lorsqu'il est
invité à retrouver ses anciens protégés qui ont
émigré aux Etats-Unis, cette fois, c'est son ticket d'avion qu'il
ne retrouve pas au moment d'embarquer! Il était pourtant dans son livre
de prière qu'il avait avec lui mais ce n'est que le soir qu'il le
retrouve et ici encore il put repartir le lendemain.
La fin.
Et nous voici
arrivés à la fin du périple passionant de cet homme sur la
terre. C'est en effet le terme fixé de cette vie intensément
remplie de l'abbé André qui fit un jour une mauvaise chute sur un
simple trottoir lors d'un de ses déplacements et c'est ce qui allait
l'affaiblir de plus en plus. Il s'est éteint le 1er juin 1973
à l'âge de 65 ans.
Mais est-ce vraiment la
fin de son œuvre?
Bien sur que non, le
rappel des hauts faits de cette race de femmes et
d'hommes dont nous venons de
parler est fait pour qu'individuellement nous tirions les leçons du
passé afin de faire les bons choix dans notre vie présente.
Il nous montre que le
vrai bonhheur appartient à ceux qui font abstraction d'eux-mêmes au profit de leur
entourage;
Le bonheur appartient
à ceux qui communiquent leur joie de vivre;
Le bonheur s'attache à
ceux augmentent leur connaisance pour être utile;
Le bonheur est enfin
à ceux qui ont un esprit de création et qui l'utilisent au
gré des jours.
Si nous nous attachons
à toutes ces valeurs, comme Joseph André l'a fait, nous ne serons
jamais dans l'obscurité et nous saurons toujours quel chemin suivre.
Nous ne chercherons pas à être mis en lumière mais, comme
ces gens, nous serons peut-être nous-mêmes lumière.
Et rappelons-nous que,
malheureusement, après le jour vient la nuit, et c'est durant la nuit
que les hommes ont cruellement besoin de lumière!