Elisabeth de Belgique.

  1. Introduction.

La vie de la Reine Elisabeth de Belgique doit nous donner en tout premier lieu une très grande leçon concernant notre manière de juger qui ne doit jamais être sans fondement solide.

Cette leçon est que nous ne devons jamais juger un peuple, une race, une nation ou même une famille en basant ce jugement sur les faits et gestes d'un certain nombre de sa population, quelle que soit la grandeur de ce nombre! Il est interdit de généraliser ou de globaliser à légère car cela peut nous conduire à commettre des injustices considérables et le peuple Juif est le premier à pouvoir témoigner de ce fait.

Mais revenons-en à notre héroïne, Sa Majesté la reine Elisabeth!

En effet, à la même époque, à la fin du siècle dernier, dans la même partie d'Europe, issus de la même race germanique, allaient naître deux êtres qui vont marquer le vingtième siècle mais chacun à sa façon:

C'est à elle que nous allons rendre honneur aujourd'hui en rappelant quelques faits de sa vie. Mais nous allons surtout essayer de nous enrichir en découvrant les exemples qu'elle nous a laissés.

Je souhaiterais que tout au long de ce récit vous réfléchissiez aussi aux situations vécues par cette Reine et qui sont semblables à celles que le peuple Juif a connues durant près de 2500 ans si l'on se rappelle qu'avant notre ère, le peuple Juif a vécu sur la terre de Judée mais sous le joug d'un pouvoir étranger.

  1. Une Allemande épouse la Belgique!

La première marque d'amour de cette Allemande issue de la famille de Bavière, c'est d'avoir quitté son vaste pays montagneux pour suivre son mari, le Prince héritier de Belgique, le futur Roi Albert I de Belgique.

En effet, Elisabeth quitte son beau pays pour venir dans un pays que tous nous aimons mais qui, il faut le reconnaître, est bien différent de la Bavière étant beaucoup plus petit et plat avec beaucoup moins d'espace. La différence est encore accentuée si l'on sait qu'au lieu de son Château, elle devra habiter dans la ville de Bruxelles une maison de la rue de la Science non sans avoir dans un premier temps dû habiter chez ses beaux-parents!

Lisons un témoignage d'un membre de sa famille à ce sujet:

" Elle a dans un premier temps souffert de l'atmosphère quelque peu étriquée et presque bureaucratique qui régnait autour d'elle. J'ouvre la parenthèse parce que j'oubliais de signaler qu'en plus de la famille, cette maison était occupée pendant la journée par toute sorte d'aides de camp, secrétaires et autres qui déjà à l'époque polluaient par la fumée de leurs cigares et cigarettes. Quel contraste avec le bon air et les horizons de la Bavière!

Le jardin de la rue la Science ne suffisait guère à son avidité de plein air et de liberté.

Mais elle accèpte cette épreuve en silence; témoin cette lettre à son mari envoyée lors de son long périple au Congo alors Belge:

" Cela me fait le plus grand bien de voir toutes les personnes qui t'aiment et que tu aimes. Cela me rapproche de toi. Je suis plus Belge que jamais et je ne voudrais pas quitter la Belgique maintenant. Il me semble qu'un souffle de toi est resté ici et que si je quittais Bruxelles, je m'éloignerais de toi…"

C'est le début du mariage d'Elisabeth avec la Belgique. Mais ce mariage a lieu par l'entremise d'un homme d'exception: le futur Roi Albert I, un homme qui n'avait pas du tout l'intention de passer sa vie en se laissant flotter au gré des eaux, bien au contraire. Ecoutons comment il s'exprime en 1906:

" Je ne puis le dissimuler, le moment est venu de travailler jusqu'à crever pour acquérir, non pas une capacité, ce qui est impossible, mais un savoir suffisant pour exclure du moins le ridicule de la fonction que la fatalité doit m'infliger plus tard.

Je crois, j'espère que je saurai me mettre au travail, j'entends par là, n'avoir plus d'autre objectif que ce qui se rapporte au perfectionnement de soi-même. Si pourtant j'arrivais malgré tout à me rendre utile à mon pays, ce serait la réalisation d'une bien haute ambition et la récompense de bien des peines…"

Et en écho vient la réponse d'Elisabeth:

" Je ferai tout mon possible pour te rendre la vie agréable… Tu mérites d'avoir une femme qui vive pour toi, ce que je tâcherai de faire toute ma vie…"

Sans cesse le couple royal s'encourageait et se construisait pour devenir un remarquable et solide point de repère vers où pouvaient toujours se tourner ceux qui habitaient sur le sol belge.

C'est ce que nous montre encore mieux ces quelques mots du roi Albert à son épouse:

"Tu as tout pour remplir le rôle de reine: coeur, intelligence, tact et grâce. Fais-le! C'est vraiment du fond du coeur un appel que je t'adresse au nom de l'amour si sincère qui nous unit et qui pourrait trouver des voies nouvelles si fécondes.

Embellie par le travail et l'effort, je crois que la vie devient plus belle. C'est le combat de tous les jours: on pousuit un idéal, on va vers un but, on finit, je crois, par savoir ce que l'on veut et j'imagine même qu'on ferme une fois les yeux ayant mérité la tranquilité et le repos de la conscience…"

De partout viennent les témoignages des observateurs avisés tel cet ambassadeur d'Angleterre qui note:

" Quelqu'un peut-il penser à sa Majesté sans que son esprit se reporte sur cette autre figure royale qui était toujours à son côté, toute de charme, de grâce et de dignité avec des qualités héroïques si parfaitement assorties à celle du roi que les deux caractères paraissaient fondus en un pour affronter les grandes épreuves. L'épouse du roi Albert avait un don de présence exceptionnel qui s'imposait toujours dans n'importe quelle circonstance. Elle s'était forgé, à force de volonté, cette armature secrète et sans faille qui défend contre le doute de soi et vous rend invulnérable à l'opinion malveillante et injuste des ennemis et des imbéciles."

L'amour régnait sur la Belgique au lieu de la haine que l'on devinait déjà à une centaine de kilomètre là en Allemagne où l'on préparait la première guerre mondiale.

  1. Une ouverture d'esprit vers tous les hommes et les idées.

Très tôt, le couple fréquente les personnalités de tout bord et notamment les socialistes tant en Belgique qu'en France dans le but, je cite, de rencontres entre hommes de bonne volonté passionnés de vérité scientifique. Ils ont restés très amis avec Camille Huismans toute leur vie.

Albert innove en faisant sa prestation de serment pour la première fois dans les deux langues, flamand et français. Il dit d'ailleurs:

"La Belgique est riche et heureuse mais la richesse crée des devoirs aux peuples comme aux individus; seules les forces morales et intellectuelles fécondent sa prospérité."

Ils furent aussi liés à Jules Destrée et Vandervelde. Après la guerre, ils eurent l'occasion d'apprécier à sa grande valeur le cardinal Mercier.

Le roi Albert n'a pas d'à priori et c'est ainsi que plusieurs proches conseillers durant la guerre de 14 sont protestants comme le Général Galet et le professeur Lagrange qui venait très souvent jouer au violon avec la Reine.

Et puis, il y a eu cette liaison exceptionnelle avec Einstein qui, avec le Roi, discourait sur le sens de la vie et sur les mouvements d'opinion tandis qu'avec la Reine, la musique tenait la meilleure place. Il a été un témoin en bonne place pour voir déjà avant la 2e guerre l'oeuvre salvatrice de la Reine Elisabeth qui sans relâche essayait de faire sortir des Juifs de l'Allemagne Nazie. Pour montrer l'ouverture d'esprit du couple royal en pleine montée du nazisme, à une époque où l'on aurait dû parler d'armée et d'armements, lisons ce passage écrit par Einstein qui soulevait le débat des objecteurs de conscience:

"14 juillet 1933, Majesté, le problème des objecteurs de conscience me hante. C'est une question sérieuse dont l'importance dépasse de loin les cas particuliers qui m'ont été soumis… J'estime que l'on ne devrait pas les considérer comme criminel lorsqu'ils sont poussés sincèrement par une force de persuasion morale ou religieuse. On ne devrait pas laisser non plus d'autres hommes juger si, au fond de ce refus, il y a une persuasion profonde ou des motifs de moindre valeur. " Et Einstein de poursuivre avec un jugement de Salomon à ce sujet.

  1. Une Allemande contre l'Allemagne

Maintenant je voudrais aborder une époque qui a dû être particulièrement déchirante pour la Reine Elisabeth. Ce sont ces deux guerres atroces qu'elle a été amenée à combattre et à subir contre le pays de ses racines et de sa famille!

Il y a eu tout d'abord la guerre 14-18 où elle a brillé de courage et d'abnégation en restant sur ce qu'Emile Verhaeren, grand ami du couple, avait baptisé un lambeau de patrie.

Il faut réaliser que pour cette Reine, cette guerre signifiait couper toutes ses relations avec ses parents et sa famille proche pendant environ cinq ans.

Comme elle avait confié à Pierre Loti:

"Un rideau de fer est tombé entre ma famille et moi."

Ceci signifie qu'elle souffrait cruellement dans son coeur de la séparation d'avec sa famille bavaroise et un de ses frères mourut près de l'endroit où elle se trouvait mais dans l'autre camp.

Mais elle ne laissa jamais échapper une plainte à ce propos et elle s'identifia si totalement aux exigences et aux désirs de sa nouvelle patrie que jamais personne ne se souvint de ses origines allemandes!

Comme si cette situation cruelle n'était pas suffisante, elle dut se séparer aussi de ses trois enfants envoyés en sécurité en Angleterre.

Et pour elle, il ne lui restait qu'une vie errante, chassée par les armées de l'envahisseur de ville en ville pour finalement aboutir à la fameuse villa Maskens de La Panne et y vivre constamment sous la menace des obus allemands. La reine n'a pas hésité et n'a pas cherché à éviter cette situation en se réfugiant loin de la zone des combats comme plusieurs l'ont fait.

Mais voilà encore que l'amour était roi, amour pour son mari et amour pour sa patrie d'adoption. Cet amour est générateur d'une puissance encore une fois salvatrice comme en témoigne le Général Galet:

"Nous pouvons admirer son zèle inventif qui s'était immédiatement découvert un champ d'initiative qui leur était propre et dont elle ne sortit jamais, celui des soins à donner aux blessés et du réconfort moral à apporter aux combattants.

Mais par-dessus cette activité bienfaisante d'ordre général, la Reine exerça sur le Roi et sur nous tous une influence des plus heureuses surtout aux mauvais jours. Elle ne perdit jamais ni la confiance, ni la bonne humeur et, quelque sombre que fût la situation et qu'apparût l'avenir, elle trouvait toujours les paroles d'encouragement qui parvenaient à réconforter."

On compend donc toute la signification du poème écrit par Verhaeren portant le titre que j'ai cité avant de Lambeau de PATRIE:

Ce n'est qu'un bout de sol étroit

Mais qui renferme et sa Reine et son Roi

Et l'amour condensé d'un peuple qui les aime

Le nord a beau y déchainer le froid qui gerce et qui mord

Il est brûlant ce sol suprême

Tellement chaud ce sol pourtant minuscule que tous se précipitent pour s'y réchauffer en rencontrant la Reine et le Roi:

Ce sont les hommes politiques et les chefs de guerre comme Poincarré, Clémenceau, Joffre, Foch et déjà Winston Churchill qui rendit un hommage vibrant à l'attitude du couple Royal au plus dur de la guerre.

A la seconde guerre mondiale, n'a-t-il pas puisé ses forces dans ses souvenirs de l'attitude de nos souverains d'alors?

Ce sont aussi les médecins prestigieux comme le Dr. Carell.

Ce sont enfin une armée d'artistes venus comme de l'au delà pour rappeler qu'il y a toujours de l'espoir. Ces artistes sont Ysaïe, Saint Saens, Verhaeren, Loti, Maeterlinck, le peintre Emile Claus.

Tous sont littéralement éblouis par cette Reine si différente. St Saens en dit:

" Le courage dans la grâce et l'héroïsme dans la douceur, la haute intelligence dans la simplicité, la fermeté virile sous une apparence frêle et timide, telle est la délicieuse Reine des Belges. Elle connait tout, s'intéresse à tous: à la nature comme une savante, à l'art comme une artiste, à la souffrance comme une soeur de charité."

La Reine Elisabeth est l'élément catalyseur qui vient réchauffer ce lambeau de terre et y apporter de la joie.

Viennent ensuite la paix et les retrouvailles familiales mais le couple royal voit déjà loin et dès les négociations du traité de Versailles, le roi Albert sent déjà la future guerre se péparer.

Il dit en effet : " La lutte pour l'hégémonie de l'Europe n'est pas près de finir. Elle entrainera entre l'Angleterre et l'Allemagne d'autres guerres qui feront planer sur la Hollande et sur la Belgique de nouveaux dangers d'invasions et de dévastations." Quelle lucidité!

Le Roi Albert eut toutefois le privilège de ne pas vivre la sale 2e guerre mondiale avec son cortège d'horreur qui dépasse l'imagination. Ce roi était déjà prêt pour la mort car en 1930, il écrit:

"La vie est une course, le destin n'attend pas, moi je suis près de la situation terminus."

  1. Le flambeau est repris par Elisabeth.

La Reine Elisabeth allait encore une fois devoir subir les atrocités de la guerre, une seconde guerre contre son peuple d'origine, mais cette fois elle était seule. Elle n'avait même plus ce lambeau de patrie pour s'y réfugier!

Après le départ soudain de son mari, elle va garder le flambeau haut levé.

Bien avant le début des hostilités, comme je l'ai déjà dit, elle va s'attacher silencieusement à sauver des Juifs injustement maltraités. Cette opération de sauvetage va s'amplifier avec le temps et nous en avons parlé ailleurs (Lire la première conférence sur la Shoah).

A mesure que les jours deviennent de plus en plus sombres, la lumière de ce flambeau qu'est devenue la Reine Elisabeth brillera de plus en plus.

Et comme toute lumière, elle luira en silence, sans faire de bruit mais de façon telle que tout homme qui cherche puisse la voir et poursuivre la route sans se perdre.

Tout au long de cette route, des compagnons l'ont constamment encouragée comme Einstein qui un jour lui écrit:

"Ce qui peut vivifier d'une manière rafraîchissante les gens plus âgés, c'est la joie de faire mouvoir les jeunes, joie toutefois qui est obscurcie par des pressentiments inquiétants. Et pourtant, le soleil du printemps éveille bien la vie comme autrefois, et nous pouvons nous en réjouir et contribuer à son épanouissement. Et Mozart est resté aussi beau et aussi délicat qu'il a toujours été et le sera. Il y a tout de même quelque chose d'éternel qui reste à l'écart des agissements du sort et de tout aveuglement humain. Et ces choses éternelles sont plus proches aux gens âgés qu'aux gens plus jeunes oscillant entre la crainte et l'espoir. Il nous est réservé de vivre de façon la plus pure, à travers le beau et le vrai. Ces maximes semblent rudes et mornes mais elles apportent une libération rare parce qu'elles donnent un sens objectif à la nature humaine et par rop humaine. Cela se lit plus agréablement avec des gens dont le petit navire a passé par plus d'une tempête."

Et refermons le beau livre de cette vie éclairante en laissant à la Reine elle-même le soin de conclure par une note suprême d'amour quand elle confie à sa fille, longtemps après la disparition de son mari:

"Depuis la cruelle séparation d'avec ton père, je n'ai pas vécu un seul jour sans que son souvenir me soit présent et tout ce que j'ai pu faire, je l'ai fait par fidélité à sa mémoire."

A notre tour de vivre par fidélité à son bon exemple d'une allemande qui a épousé la Belgique et tous ceux qui venaient y chercher refuge.

Ce fut vraiment un mariage pour le meilleur et pour le pire!

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