Il y a un peu plus d'un an, au début du printemps
ou du mois d'Aviv, comme il est dit en hébreu, j'avais
eu le privilège de vous entretenir de la contribution positive
et encourageante d'un certain nombre de belges en matière
de protection du précieux peuple juif au cours des années
noires de la guerre 40.
Ce fut l'occasion pour moi d'honorer tout à
la fois les nombreux belges qui avaient sauvé mais aussi
tous les juifs qui avaient eu la noblesse de caractère
pour savoir s'humilier et lutter contre sa propre nature humaine
de manière à accepter d'être conduits comme
des enfants par la main et avec foi vers la sortie de ce tourbillon
mortel.
Mais aujourd'hui, c'est le 8 mai, jour V de la victoire,
date choisie pour rappeler la libération. C'est une occasion
pour nous tous de méditer les enseignements de ce passé
en vue d'essayer de construire avec persévérance
un avenir meilleur.
Au cours de cette méditation, je vous propose
de définir la notion de liberté et d'analyser les
motivations de ces gens qui ont sauvé et de ceux qui se
sont laissés sauver. Puis je vous proposerai de nous remettre
en question aujourd'hui quand on voit tant de choses horribles
se dérouler jour après jour.
Nous avons donc passés aujourd'hui la journée du 8 mai qui il y a quelques années encore était très célébrée pour commémorer la libération. Mais aujourd'hui, une volonté s'est dessinée en Europe, après 50 ans, de mettre fin à ces grandes commémorations et petit à petit mettre en oubli ces événements.
Nous venons aussi de fêter la Pâque qui elle aussi est un symbole criant de la libération du peuple d'Israël.
Et comme il n'y a jamais 2 sans trois, nous fêterons enfin le jour de l'indépendance de l'Etat d'Israël la semaine prochaine.
C'est donc une période particulièrement
bien choisie pour parler de la Liberté.
Mais les gens oublient bien vite la valeur de ces
délivrances répétées qui nous sont
en quelque sorte offertes. La liberté est l'un des biens
les plus précieux mis à la disposition des hommes
et elle va souvent de pair avec un pouvoir éclairé.
L'esprit de liberté dont nous allons parler
existait tant chez ceux qui ont sauvé des Juifs que chez
la plupart des Juifs qui ont été sauvés comme
nous allons le voir.
Souvent les hommes et les femmes sont bien incapables
de cultiver et de faire croître cette liberté parce
qu'être libre implique des devoirs, l'homme libre a des
obligations pour pouvoir demeurer libre:
Notre civilisation de plus en plus confortable et
guidée par l'apât de l'argent met en danger la liberté
car elle peut à tout moment disparaître.
Nous devons rester aux aguets et mettre tout en oeuvre
pour préserver cette liberté si chèrement
acquise. Lorsque nous traffiquons de plus en plus la vérité
pour quelque raison que ce soit, lorsque nous mettons de plus
en plus en sommeil notre imagination créatrice pour nous
abriter dans une attitude passive de récepteur non productif
et lorsque nous rejetons notre devoir de penser et de méditer
librement sans laisser la foule décider pour nous, nous
nous dirigeons dans la direction contraire à celle montrée
par la liberté: c'est le danger de la mondialisation mal
conduite. Où est le potentiel créateur de chaque
homme libre? Les hommes utilisent de moins en moins la liberté
pourtant encore à leur disposition.
Un point remarquable de la liberté en l'homme est qu'elle démarre souvent avec rien.
C'est ainsi que le pouvoir créateur de l'homme conscient de sa liberté se manifeste même dans les situations les pus précaires que le peuple juif a rencontrées si souvent.
Voici qulques petits poèmes écrits
par des personnes à l'esprit libre et pourtant enfermée
dans des gettos ou dans des caves:
Et enfin le poème que beaucoup d'entre vous
connaissent car c'est devenu l'hymne de la résistance juive:
Ceci montre que la liberté est particulièrement sublime là où on la croit disparue et créatrice chez des gens voyant la vérité à l'horizon.
Ceci est confirmé par ce qui a caractérisé la libération du peupe juif des camps: beaucoup se sont retrouvés libres mais sans rien sinon leur vie comme bien. Ceux qui sont arrivés en Palestine à l'époque ont fabriqué un pays et un état, l'Etat d'Israël au départ de rien, uniquement grâce à l'esprit de liberté qui respirait en eux!
Si l'on remonte encore plus loin dans l'histoire
de la sortie d'Egypte qu'il est demandé aux croyants de
ne pas mettre dans l'oubli, chaque année, la liberté
a aussi consité à se retrouver sans rien dans un
désert comme pour démontrer qu'il faut mettre en
oeuvre le pouvoir créateur de l'homme.
Voici des paroles inspirées des écrits
de Paul Arrighi, après sa déportation à Mathausen
et qui résument particulièrement bien cette puissance
de la Liberté:
" Au fur et à mesure des mois de servitude, celui qui résista fut, plus que l'intellectuel, l'homme qui avait engagé sa vie, l'homme de foi. Ainsi survécurent les croyants, communistes et des hommes imprégnés d'humanisme, donc qui avaient foi en la transcendance de l'homme. Parce qu'ils avaient la foi, ceux-là se créèrent un climat de pensées, par des moyens variables suivant leur tempéramment respectif: respect de l'homme, recherche de l'acte gratuit, refuge dans l'esthétique.
Ainsi sauvèrent-ils en eux le droit. La liberté
pour eux devint la lutte. Leur foi sauva leur carcasse. Quelques-uns
atteignirent ainsi, ou tout au moins effleurèrent des sommets
que seul l'univers concentrationnaire permit d'entrevoir."
Eva Fogelman, fille d'un rescapé des camps,
a voulu étudié ce qui fait qu'une personne devient
un sauveur. Elle a résumé une grande partie du fruit
de ses travaux dans un livre parut il y a 3 ans en anglais et
qui a pour titre CONSCIENCE et COURAGE.
Un point qu'elle met très clairement en évidence, c'est que souvent, les Sauveurs n'existent et n'entrent en action qu'à la condition qu'on vienne lui demander de l'aide.
Cela veut dire que l'état et la volonté de sauver qui existent chez certaines personnes ont besoin d'une étincelle pour se mettre en action; cette étincelle est dans les cas dont nous voulons nous souvenir ce soir, le courage et la noblesse de caractère qu'il fallait aux juifs pour frapper à la porte et demander de l'aide souvent au risque de leur vie.
Les sauveurs sont prêts à sauver mais ils sont comme un arc tendu pour lequel il faut une cible.
Ainsi Eva Faugel cite l'histoire du Dr. Berger médecin juif, interné dans un camp de travail et auquel on a fait appel pour soigner un membre de la famille Kowalyk qui habitait près du camp. Après le rétablissement de la mère Kowalyk, le Dr. Salomon Berger a supplié en larmes pour obtenir l'aide de Kowalyk et ceux-ci acceptent.
Ils se préparent à le recevoir en construisant
une double parois dans leur grenier pour le cacher. La nuit suivante,
le Dr. Berger se présente à la porte et est caché
mais quelle ne fut pas la surprise des Kowalyk d'entendre frapper
à la porte quelques minutes plus tard et de voir devant
eux 19 autres juifs demandant eux-aussi refuge et auxquels Salomon
Berger avaient fourni la bonne information! Il s'ensuit toute
une mise en scène pour ne pas montrer au voisinage les
changements importants survenus dans les maisons des Kowalyk:
Il fallait faire les lessives de nuit et sécher le linge
à l'intérieur pour qu'on ne repère pas le
plus grand nombre de personnes.
Ensuite, il se crée une véritable harmonie et compréhension mutuelle entre les sauveurs et les sauvés. En effet, il fallait que très rapidement tous mettent en oeuvre une entente parfaite pour pouvoir improviser à tous moments des rôles en cas de contact avec les ennemis qui faisaient de temps à autres des perquisitions.
Dans une autre anecdote, une dame âgée et sa petite fille ont été sauvée de la mort malgré leur traits sémitiques très marqué. La personne qui les abritait sachant cela improvisa juste avant une perquisition des SS une situation où la dame âgée a été déguisée en mourante avec tout le decorum nécessaire de crucifix et de bougies et la fille
couverte d'un voile en prieuse au chevet de la mourante.
Souvent il fallait agir vite sans poser trop de questions et en
comprenant sans parole ce qu'il y avait lieu de faire.
Les Sauveurs et leurs protégés formaient
une véritable entité nouvelle formidablement bien
articulée.
6. Improvisation et créativité.
Un autre trait de caractère de ceux qui ont sauvé pendant la guerre, c'est celui dont nous avons parlé au début: faire preuve de créativité et d'invention.
Ainsi, une femme qui avait accepté de sauver
un bébé, pour éviter la dénonciation,
a simulé une grossesse pour finalement justifier l'apparition
du bébé au grand jour dans sa maison; auparavant,
elle l'a caché.
Une autre femme dont le mari avait été
abattu par les nazis et qui ne pouvait donc pas en faire autant,
à savoir simuler une grossesse, utilisa un autre stratagème
pour sauver un bébé; elle fit croire qu'il s'agissait
du bébé de sa soeur enfermée dans un camp
et qu'on lui avait fait parvenir par des inconnus. Il fallait
que cela paraisse plausible aux yeux de la population chez qui
il y avait toujours des gens prêts à dénoncer.
Elle a même réussi à faire avoir à
ce bébé des papiers d'identification au nom de sa
soeur.
Une autre caractéristique décrivant la personnalité des Sauveurs, c'est leur don d'observation et d'écoute. Cette attitude est celle d'une personne qui ne se contente pas d'entendre mais est aussi à l'écoute. Il y a une grande différence entre entendre et écouter:
Entendre est une attitude passive comme quiconque entend le chant des oiseaux dans la forêt
Ecouter est au contraire une attitude active comme
la personne qui sélectionnera parmi le chant des oiseaux
et écoutera celui du rossignol après l'avoir cherché.
Les sauveurs de même seront à l'affut
pour chercher avec persévérance la personne en besoin;
tout son corps sera à l'affut pour fournir son aide. C'est
l'exemple de marchand de légumes qui constate soudain qu'une
de ses clientes prend subitement plus de marchandises chez lui.
Il devine qu'elle abrite des réfugiés juifs et dès
lors sans changer ses prix, il s'arrange pour mettre de côté
plus de légumes pour elle. Quelque temps plus tard, cet
homme fut malheureusement pris car on découvrit chez lui
également des réfugiés.
8. Déceler l'ombre des choses à
venir.
Les Sauveteurs furent aussi des gens doués d'une perspicacité et d'une intuition remarquables basés sur leur esprit d'observation dont nous avons parlé avant.
Cet esprit leur permettait de prévoir longtemps à l'avance le déroulement mécanique des événements à savoir ce que le nazisme préparait et par conséquent, ils ne furent pas pris au dépourvu quand se répandirent les premières rumeurs de l'extermination des juifs.
Ainsi, dès 1929 le père de Gitta Bauer, un vétéran allemand de la première guerre mondiale étonna sa fille de dix ans en lui faisant la remarque surprenante pour l'époque que les jeunesses hiltériennes étaient des gens qui voulaient une autre guerre.
Bien qu'au début enthousiasmée par
le mouvement nazi, cette réflexion l'éclaira et
la fit rejeter complètement le nazisme au moment de la
nuit de cristal. Elle réussit à sauver plusieurs
juifs alors qu'elle demeurait au coeur de Berlin.
Il y a aussi le cas de la famille hollandaise Blom
qui dès le début des déportations eut la
conviction qu'il s'agissait d'un plan d'extermination des juifs.
Ils durent convaincre vigoureusement des amis dentistes juifs,
les Vreedenburg d'accepter un abri chez eux et de ne pas partir.
Ces gens devinaient à l'avance ce qui allait
se passer et ils voyaient se profiler déjà l'ombre
de la Shoah.
L'an passé nous avions rappelé les expoits exaltant des belges qui avaient fourni une aide efficace dans le sauvetage de famille juive pendant les années noires du nazisme en Belgique. Le mérite des belges était d'autant plus grand que beaucoup parmi lesjuifs étaient des immigrants de fraîche date ne parlant pas encore le français.
Depuis la famille royale, en passant par les organisations religieuses, communistes et juives, beaucoup ont contribués à la réussite de cette opération. Nous avons parlé de cette Constance et de sa famille qui réussiront à garder une petite Sarah jusqu'au retour de ses parents à la fin de la guerre.
Il y eut aussi l'histoire d'Abraham qui confia son fils à Henriette Chaumât.
Il y eut aussi le remarquable abbé André insatiable de courage et qui a sauvé tant d'enfants en les plaçant dans les campagnes du Namurois.
Nous avons également parlé du groupe réuni autour de la famille du Dr. Fernand Arnould et de sa femme qui ont aussi habrité de nombreux juifs.
Il y eut enfin l'histoire attachante relative à
la protection de la famille Zuckerman par la famille Bohain: une
famille juive religieuse gardant toute ses traditions au fin fond
des Ardennes et qui fit son alyah dès la fin de la guerre.
Aujourd'hui nous avons plus cherché par des exemples à analyser les traits de caractère propres aux Sauveteurs pour nous en inspirer.
Ces Sauveteurs sont essentiellement des femmes et des hommes libres malgré les apparences, des gens libres de se passer de leur nécessaire pour prendre toutes les décisions qui s'imposent sans se laisser influencer par l'ambiance.
Nous avons vu qu'ils n'attendaient qu'une étincelle pour se mettre en route et cette étincelle, c'est le courage du Juif qui exprime son besoin d'aide.
Les Sauveteurs et leurs protégés ont
alors fait preuve d'une énorme créativité
et sont devenus des acteurs exceptionnels, mais des acteurs dont
la vie dépendait de la manière dont ils remplissaient
leur rôle! Ils deviennent une troupe harmonieuse et forme
un tout unique oeuvrant à la réussite de leur entreprise.
Nous avons vu également et c'est important,
qu'ils avaient une vision intelligente de l'avenir grâce
à leur observation attentive des événements
présents.
Ils recherchent également la vérité.
Mais maintenant je vous propose pour conclure de
nous remettre en question!
Ajourd'hui, plus d 50 ans après la fin de
la guerre, nous pouvons voir malheureusement de nos propres yeux
ce qui se passe avec les soi-disant réfugiés du
Zaïre, je dis soi-disant car en fait ils n'ont aucun refuge!
En près de deux ans, plus d'un demi million de Tutsis et
de Hutus ont été exécutés sauvagement
ou sont morts de faim sans que la communauté internationale
malgré toute sa puissance et toute sa connaissance n'intervienne
efficacement. Aujourd'hui, sous nos yeux, l'horreur se poursuit
et l'on laisse périr des centaines d'enfants, de femmes
et d'hommes dans un camp immense qui est le monde dans lequel
nous vivons!
60,000 Algériens sont assassinés parfois
par villages entiers par le fanatisme religieux et ici aussi,
pas de succès pour sauver.
Il y a quelques années, il y eut un million
d'exterminés au Cambodge sans plus d'échos.
Faut-il encore rappeler ce qui s'est passé
et se passe au Tibet, les guerres meurtrières de Somalie,
d'Ethiopie et d'autres pays en Afrique Centrale, de même
en Amérique centrale sans oublier les malheurs qui ont
frappé l'ex Yougoslavie.
Faut-il oublier les victimes de la pédophilie et de la prostitution forcées si nombreuses en Thailande et peut-être aux Philippines sans oublier le traumatisme qu'a vécu la Belgique!
Que penser de l'esclavage des enfants pratique courante
dans plusieurs pays d'Asie et d'Amérique du sud?
Tout ceci est fait au vu et au su de tous les Etats
et Organisations Internationales mais comme je le disais plus
haut, le monde entend et voit, mais qui écoute et regarde
pour mettre en oeuvre sa Liberté et la faire fructifier?
Tout ceci ne nous montre-t-il pas que comme sous
l'Allemagne nazie, toute opération de sauvetage doit être
l'oeuvre d'individu qui en prennent l'entière responsabilité
sans s'appuyer sur l'ensemble d'une communauté pour éviter
une dilution des responsabilités et risquer l'échec
de l'entreprise.
Je nous souhaite de méditer ceci car notre
avenir dépend de la manière dont nous cultiverons
la LIBERTE qui nous a été confiée et je suis
à votre disposition pour toute question ou commentaire.